Bovary

Souvent, les auteurs classiques utilisent des ellipses pour suggérer les scènes érotiques.

Mais il leur arrive aussi d’user d’autres stratagèmes, de s’attarder sur ce qu’ils ne disent pas, et c’est ce que fit Flaubert, dans Madame Bovary, pour raconter le début de la liaison d’Emma et de Léon.

Leur première fois, c’est à l’intérieur d’un fiacre, ancêtre de nos taxis – ce qui prouve bien que les habitudes amoureuses n’ont pas changé tant que ça.

Léon est un jeune employé qui revient de Paris. Son séjour dans la capitale lui a donné une assurance nouvelle et il la manifeste par le ton impérieux qu’il prend avec Emma, au moment où elle hésite.

 — Ah ! Léon !… Vraiment…, je ne sais… si je dois… !

Elle minaudait. Puis, d’un air sérieux :

— C’est très inconvenant, savez-vous ?

— En quoi ? répliqua le clerc. Cela se fait à Paris !

Et cette parole, comme un irrésistible argument, la détermina.

Le lecteur comprend que Léon a l’intention de trousser les jupes d’Emma à l’intérieur du fiacre. Il le comprend, mais il ne le voit pas.

— Où Monsieur va-t-il ? demanda le cocher.

— Où vous voudrez ! dit Léon poussant Emma dans la voiture.

Et la lourde machine se mit en route.

Elle descendit la rue Grand-Pont, traversa la place des Arts, le quai Napoléon, le pont Neuf et s’arrêta court devant la statue de Pierre Corneille.

— Continuez ! fit une voix qui sortait de l’intérieur.

Le cocher, lui, est perplexe. Ce qui se trame à l’intérieur du fiacre lui échappe complètement :

Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s’arrêter. Il essayait quelquefois, et aussitôt il entendait derrière lui partir des exclamations de colère. Alors il cinglait de plus belle ses deux rosses tout en sueur, mais sans prendre garde aux cahots.

Les deux rosses en sueur, ce sont les chevaux qui tirent tout ce petit monde, mais c’est aussi la chevauchée qu’on imagine à l’intérieur, et dont on ne verra rien, rien qu’une main, un peu comme celle de Rose dans Titanic :

Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s’abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur.

Pourquoi les bouts de papier ? C’est un mystère… Ce qui s’est passé, il nous est juste permis de l’imaginer, en laissant s’envoler des mots qui ne sont pas ceux de Flaubert : Léon qui plante un baiser sur la bouche d’une Emma qui se dérobe, les cahots qui les projettent l’un contre l’autre, les vêtements qui tombent, et Emma qui s’abandonne, frémissante, sa peau blanche perlée de sueur, la masse noire de sa chevelure éparpillée sur le cuir de la banquette.

Je vois, comme si j’y étais, ses longues paupières qui se ferment quand, enfin, son amant la pénètre, s’enfonce en elle, et se répand par vagues dans tout son être.

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