J’ai participé au mouvement du « Me too ». Après avoir pas mal hésité, j’ai fini par raconter un épisode dont je n’avais presque jamais parlé. Une relation subie, alors que je dormais profondément. C’était avec mon copain de l’époque. Je n’étais pas parvenue à m’éveiller, j’avais l’impression de faire un cauchemar. Le lendemain, quand je lui en ai parlé, il m’a reproché ma passivité qui l’avait obligé à s’arrêter (le pauvre).
Photographie de Miguel Démonia
A ce moment-là, j’étais incapable de lui répondre. Je me suis écrasée.
J’aurais aimé avoir des arguments à lui opposer. J’aurais pu lui parler, par exemple, de cette vidéo sur le consentement qui se sert d’une tasse de thé comme métaphore. Mais j’étais tellement surprise que je me suis tue. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être mieux armée. Le prochain qui me fait un coup comme ça (j’espère que ça n’arrivera pas), je me mets en mode Terminator (voir photo).
Parler de ça a été pour moi un soulagement. J’espère sincèrement que le fait d’avoir évoqué un certain nombre de problèmes, ces derniers mois, permettra d’en éviter à l’avenir. J’espère qu’on va éduquer les garçons et les filles pour les sensibiliser à ces questions.
Du coup, la tribune récente réclamant la liberté d’importuner ne m’a pas plu. J’ai trouvé les mots mal choisis, les exemples cités m’ont dérangée. C’est non au frotteur, non au sexto sans préambule, non à la main qui dérape soudain sur le genou d’une voisine qui n’a rien demandé.
En revanche, je suis pour la liberté de draguer, et je peux comprendre que certains hommes se sentent un peu bridés dans leur désir de séduire. Je me suis donc interrogée. Où finit la drague, où commence le harcèlement ?
D’abord, je tiens à souligner que dans 90% des cas, il n’y a pas le moindre doute. Les harceleurs de rue choisissent souvent des mots fleuris, comme « ça sent la chatte », « baisse ton pantalon », ou encore « ça te dit, ma queue ? » Eh oui, c’est du vécu, j’en ai parlé dans cet article. Messieurs (dames), évitez donc les propositions sexuelles, les insultes, n’envahissez pas l’espace de la personne que vous voulez charmer.
Zone grise : les compliments. Là, tout dépend du contexte. Je me souviens par exemple, de ce vieil homme qui s’était précipité vers moi, dans la gare, et s’était planté juste devant moi avant de s’exclamer : « que tu es belle ! » Bon. C’était étrange, un peu effrayant, mais ça m’a quand même fait plaisir, au final. Cela dit, ce n’est probablement pas une bonne technique de drague. Donc, avant le compliment, on commence par dire bonjour. D’ailleurs, mieux vaut commencer la conversation autrement, pour éviter de donner l’impression qu’on ne s’intéresse qu’au physique de la personne, qu’on la prend pour un objet. Ne pas dire, par exemple : « sympa, tes gros nichons ! » (On ne m’a jamais dit ça. Je me demande bien pourquoi).
Enfin, dernière chose : faut-il insister ?
Alors, d’abord, très important : pour tout ce qui concerne le rapprochement physique, et notamment le sexe, non, il ne faut insister. Non, c’est non. Et si la personne dort, a trop bu, n’est pas dans son état normal… On la laisse tranquille.
S’il s’agit d’une personne inconnue que vous avez abordée dans la rue, dans un parc ou un café, mieux vaut ne pas insister, au risque d’importuner. S’il s’agit d’une personne de votre entourage qui vous envoie des signaux mêlés, là c’est plus compliqué. Certaines femmes résistent avant d’être séduites. Certains hommes aussi, j’en sais quelque chose. Alors, comment draguer sans harceler ? Eh bien, là, ça devient complexe, c’est un art de funambule, et on peut très bien se casser la gueule. Je pense qu’il faut être clair sur ses intentions, sans se montrer envahissant. Facile, non ? Bref, oui à l’insistance subtile, non à la lourdeur. Évitez de tondre la pelouse en traçant un cœur : si la personne n’est pas touchée par votre message, elle sera contrainte de repasser la tondeuse.
Quand même, c’est vachement mignon, non, ce cœur ?
Je pourrais être tenté de te pousser dans tes retranchements rien que pour te voir en mode « Terminator », cela sonne plus comme une incitation qu’une menace
Blague à part, je suis personnellement ravi du mouvement #MeToo et j’espère que nous allons durablement (ma crainte principale est qu’un mouvement de balancier inverse efface tout ce qui est, espérons-le, en train de s’acquérir) revenir à des rapports hommes-femmes plus harmonieux.
Sur la tribune de Deneuve et consors, mon reproche principal (hormis qu’elle n’était pas pertinente, à ce moment fragile où les avancées se font lentement sans certitude que ce soit durable, justement), c’est qu’elle mélange des trucs qui n’ont rien à voir (cf. la pudibonderie des censures d’affiche dans le métro), soit par bêtise, soit par manipulation : dans les deux cas, c’est peu honorable.
Le sujet de la drague, en revanche, de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, est un sujet qui me questionne depuis un moment. Parce que je me suis interrogé face à quelques polémiques dont Twitter à le secret. Je me souviens d’une femme se plaignant d’avoir été draguée par un vendeur (pourtant très respectueux) dans un H&M, et celle aussi du technicien Orange qui avait accédé à la base de données client pour retrouver le téléphone d’une fille qui lui avait tapé dans l’œil. Ma première conclusion est que chaque femme règle différemment le curseur de ce qui est agréable / charmant / acceptable / pénible différemment (bon, je crois effectivement qu’il y a quelques points non négociables comme ceux que tu donnes en exemple) et que, du coup, une réponse absolue est délicate à proposer !
Je crois fermement en tout cas qu’il faut accepter d’être « dérangé·e » par autrui, que ce soit pour de la drague ou d’autres interactions sociales. Qui apprécie d’être dérangé dans le métro par quelqu’un qui va faire la manche ? Personne, je crois. Faut-il l’interdire, jeter l’opprobre sur ceux qui le font pour autant ? Je ne crois pas. C’est, je crois, le seul truc qu’on peut sauver dans la tribune sus-cité : le droit d’importuner, oui, mais à condition d’y mettre des limites et également de déconstruire le fonctionnement actuel où c’est « l’homme qui propose » et la « femme qui dispose » (quand elle en a le pouvoir).
Enfin, sur ton exemple cites de quasi-viol nocturne, je ne sais pas quoi dire. Personnellement, je rêverais d’être réveillé dans ce genre de circonstances… Circonstances où, pour le coup, toute tentative de recueil de consentement gâcherait le délicieux effet de surprise. Je n’ai pas assez d’information sur ce qui s’est passé pour dire à quel moment ton compagnon de l’époque a (nécessairement) manqué d’écoute puisque tu as vécu les choses de façon violente et que je ne mets pas ça en question. Savait-il qu’il franchissait une ligne rouge ?
Ah, je ne suis pas poussée dans mes retranchements, je ne vais pas me mettre en mode Terminator 😉 Je comprends ce que tu dis sur le droit de déranger, oui, pourquoi pas, ne serait-ce que parce qu’il est important de bousculer les idées des gens, de temps en temps.
Pour le sommeil, eh bien, je veux bien comprendre le fantasme de se faire réveiller ainsi, mais il faut faire très attention. Parce que le risque, c’est de ne pas réveiller la personne, si elle est dans une phase de sommeil profond, et dans ce cas c’est une intrusion assez violente. Le sommeil, c’est un état de vulnérabilité très forte.
Dans mon cas, j’étais incapable de me réveiller, même si j’avais vaguement consciente de ce qui se passait, et je me suis sentie complètement impuissante. Je n’étais même pas sûre le lendemain que ce n’était pas un cauchemar. Et quand j’ai dit mon malaise à mon copain, il a répliqué : « Si tu crois que c’est agréable de faire l’amour à une morte. » Pour le fantasme, on repassera. Une amie m’a aussi raconté avoir gardé un très mauvais souvenir d’une expérience du même genre. Donc, prudence avec les fantasmes
Je note, donc, et je serai prudent avec ce fantasme !
En revanche, la réponse de ton copain est détestable… (je supporte de moins en moins les personnes qui, prises en défaut, retournent la faute vers l’autre plutôt que de faire amende honorable…)