« Entre tes lèvres » est une longue nouvelle de Yannis Z qui vient de paraître dans la Collection Paulette. Le personnage principal m’a tout de suite plu, parce qu’il est complexe, plein de forces et de faiblesses, tout comme son épouse d’ailleurs. Ces deux-là se sont perdus, ne savent plus s’aimer, et le récit de Yannis est celui d’une reconquête.
Car si l’auteur évoque les fantasmes multiples de son personnage, c’est avant tout sa femme que le professeur d’université veut retrouver. Et il se pourrait bien que le rêve et la réalité finissent par se rejoindre.
Un des points forts du récit est la description des lieux, notamment Casablanca, ville de désirs et d’interdits, comme vous pourrez le voir dans l’extrait suivant.
Un filet de lumière blanc s’est posé sur les murs de la chambre. Zayna venait d’allumer dans le couloir. Oui, j’aurais pu aller dans la salle de bain me perdre dans la buée avec cette femme magnifique. Arriver derrière elle et poser délicatement ma bouche sur son cou. Caresser son dos nu, au niveau des omoplates. Taquiner le bout durci de ses seins… Peut-être ne m’aurait-elle pas repoussé… Peut-être aurait-elle même aimé ça… Maintenant, c’était trop tard. Elle devait être habillée, s’apprêtant à prendre son petit déjeuner. Pourquoi n’étais-je pas allé avec elle sous le jet brûlant ? Pour gagner quelques minutes de sommeil en plus ? Parce que nous étions mariés depuis vingt ans ? Parce que j’avais fini par comprendre qu’il existerait toujours un gouffre entre mes fantasmes et la réalité ? Parce que je connaissais son corps par cœur ? Je ne sais pas. La chanson qui passait en boucle n’avait sans doute pas tort : la vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas.
Je n’étais pas allé la rejoindre dans la salle de bain mais je ne me voyais pas non plus baiser avec quelqu’un d’autre. Certaines créatures langoureuses me regardaient de temps en temps dans la rue avec des yeux de braise. Elles ne me laissaient certes pas indifférent. Il y a tout un tas de bars, de boîtes de nuit, de soirées mondaines à Casablanca où l’on peut rencontrer des filles. Derrière la blancheur de la ville, il y a ses délicieuses ténèbres. Comme si la prohibition du sexe hors mariage ou bien le puritanisme ambiant avaient créé, de par leur simple présence dans l’espace public, les conditions de leur subversion. La semaine dernière, lors d’une petite fête donnée dans la villa d’un ami, j’étais resté au bord de la piscine à contempler les filles en mini-jupe très courte qui se trémoussaient près du buffet des alcools. En rentrant à l’intérieur de la maison et en passant près de la porte de certaines chambres fermées probablement à double tour, j’avais entendu des gens jouir sans aucune retenue et des corps claquant l’un contre l’autre. J’aimais cette ambiance, sans y prendre vraiment part. Il suffisait de s’asseoir à la terrasse d’un café pour comprendre cette dimension composite de la ville. À la tombée du jour, certains regards se posaient sur vous comme des invitations au plaisir. Tout était dans le non-dit. Une façon de croiser les jambes, de faire saillir une partie des seins à travers le décolleté ou de sourire en regardant le décor.
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