Des nouvelles très courtes, mélange d’érotisme et de fantastique, tantôt sombres, tantôt lumineuses. Aujourd’hui, je vous donne à lire un de mes récits préférés parmi ceux que j’ai écrits…
Le joueur de flûte de ces dames
Vous connaissez sûrement l’histoire du joueur de flûte de Hamelin. Ou du moins, vous pensez la connaître. Un homme qui jouait de son instrument si mélodieusement que tous l’écoutaient et étaient fascinés — comme, jadis, quand Orphée jouait de sa lyre.
Les rats ayant envahi la ville de Hamelin, il vint en aide aux habitants en attirant les rongeurs au loin. Charmés par sa musique, les rats le suivirent. Mais, une fois débarrassés de ce fléau, les habitants refusèrent de le payer ; pour se venger, le joueur de flûte entraîna tous les enfants de la ville à sa suite. Ils partirent en dansant. On ne les revit plus jamais.
C’est une histoire bien sombre ; l’autre version, que l’on m’a racontée autrefois, n’est pas moins captivante. Je m’en vais vous la conter à mon tour ; écoutez bien.
Il était une fois un jeune homme qui s’appelait Hans. Il n’avait pas été gâté par la nature. Non pas qu’il fût laid : simplement, il était totalement dépourvu de charme. C’était le jeune homme le plus banal qu’on pût rencontrer, grand, maigre, les cheveux filasse et les yeux couleur de pluie.
Hans était très solitaire. Il n’avait pas de frère, pas d’ami, pas d’amoureuse. Il trouvait refuge dans la forêt, où il aimait regarder le ciel à travers les feuilles et écouter les oiseaux chanter. Un jour qu’il traversait une clairière ensoleillée, il marcha sur une branche qui lui sembla étrangement dure.
C’était une flûte.
Notre héros n’avait jamais appris la musique. Il regarda l’instrument de bois, hésita un instant, et le porta à sa bouche. Quand il souffla, tous les oiseaux s’envolèrent, effrayés.
Mais Hans était un garçon patient. Il persévéra jusqu’à ce que la flûte fût familière entre ses doigts. Bientôt, il la connut si bien que s’il l’avait perdue, il aurait pu en sculpter une autre, parfaitement identique. Mais il y avait peu de chances qu’il la perdît : il ne la quittait jamais. Elle était sa seule compagne.
Il avait apprivoisé les sons, un à un d’abord, puis tous ensemble. Les notes s’envolaient autour de lui en arpèges colorés, et la forêt se taisait pour mieux l’écouter.
Ce jour-là, Hans s’était assis dans l’herbe, au pied d’un grand chêne. Il avait sorti sa flûte, et il s’était perdu dans la mélodie qu’il inventait au fur et à mesure. C’est alors que surgit une jeune fille qu’il n’avait jamais vue auparavant. Elle avait les cheveux blonds et des taches de rousseur sur le nez.
– Tu joues drôlement bien !
Elle se laissa tomber dans l’herbe à côté de lui. Hans ne put réprimer une fausse note, si légère que nul ne l’entendit, sauf, peut-être, les oiseaux.
– Tu t’appelles comment ? Non, ne me réponds pas, n’arrête pas de jouer !
Alors, Hans continua de jouer ; il inventa un air nouveau, un air rien que pour elle. Elle l’écouta longtemps, de plus en plus captivée, et des paillettes d’or s’allumèrent dans ses yeux.
– Je n’ai jamais vu un garçon si beau que toi, sais-tu ? Je ne sais pas pourquoi, je ne me suis jamais sentie comme ça. Voudrais-tu faire quelque chose pour moi ? Ferme les yeux, mais surtout, ne t’arrête pas de jouer !
Hans ferma les yeux et continua de jouer. Il lui semblait percevoir, tout près de lui, la présence de la jeune fille. Il sursauta lorsqu’il sentit soudain une main se poser sur sa cuisse.
Il sursauta, mais il n’arrêta pas de jouer.
Les doigts du flûtiste couraient sur l’instrument, plus rapides que jamais ; les doigts de la jeune fille cherchaient un autre instrument. Elle s’égara un instant dans son pantalon, et en sortit ce qu’elle cherchait. Hans se sentit durcir comme jamais entre ses doigts agiles. Sa mélodie s’égara en accords étranges, mais il ne lâcha pas sa flûte. Si la jeune fille, elle, le lâcha un instant, ce fut pour mieux le rejoindre, à califourchon sur son corps, tout contre lui.
Quand elle s’empala sur son sexe, il en oublia un instant de souffler.
– Joue, joue encore, joue pour moi !
Elle avait parlé d’une voix différente, saccadée, exaltée. Alors, il joua, il joua pour elle, de plus en plus vite, et le rythme endiablé les posséda tous deux.
Le plaisir transperça la mélodie, et, enfin, Hans laissa tomber sa flûte. Il n’avait jamais rien connu de pareil.
– Moi, c’est Julia, fit la jeune fille, essoufflée.
– Hans, répliqua-t-il.
Ils ne se quittèrent plus. Toute la journée, Hans joua pour elle ; toute la journée, ils firent l’amour, encore et encore. Au soir, ils étaient épuisés et affamés.
– Repose-toi, mon amour, je vais nous chercher à manger, déclara Julia.
Hans ne s’arrêta pas de jouer pour autant ; il lui semblait ne pouvoir exprimer autrement le bonheur qui baignait son être.
Il n’avait pas pris le temps de se rhabiller et jouait nu dans l’herbe.
C’est le moment que choisit une charmante brune pour surgir dans la clairière. Elle s’arrêta, interdite, contempla cette scène bucolique, le rouge aux joues, et laissa tomber ses mots :
– Tu es mignon, toi.
Sans plus attendre, elle se débarrassa de sa robe et de son pantalon de toile.
Nue, elle était très jolie. Peut-être encore plus que Julia.
Notre héros se remit instantanément à bander. Certes, il avait baisé toute la journée, mais il était jeune et fringant. Il se leva et rejoignit la brune, précédé de sa flûte et de son érection. Ses aventures avec Julia lui avaient donné une nouvelle assurance. D’une main, sans cesser de jouer, il plaqua la brune contre le chêne sous lequel il avait perdu sa virginité, et il la prit, sans façon ni fausse note. Une puissance nouvelle irradia ses membres ; il la cloua de ses ardeurs.
Julia survint alors, un panier à la main.
– Garce ! s’écria-t-elle, lâchant ses provisions.
Elle se rua sur le couple. Hans craignit un instant pour ses testicules, mais elle se jeta sur la brune, agrippant sa chevelure. Notre héros s’empressa de se retirer pour lui laisser le passage, et les deux jeunes femmes glissèrent au sol dans un entrelacs de chevelures et de morsures. Il les regarda un instant, fasciné par la façon dont les corps se mêlaient. La brune, parfaitement nue, arracha le corsage de la blonde et mordit son sein. Julia hurla.
Tout cela donna des idées à Hans.
Pour se faire entendre, il décida de se remettre à jouer. Le miracle se fit. Dès les premières notes, la brune et la blonde cessèrent de lutter pour l’écouter de nouveau. Quand il jugea qu’elles étaient vraiment captivées, Hans se risqua à prendre la parole.
– Mes amies, déclara-t-il, calmez-vous ! Je puis jouer pour vous deux, n’est-ce pas ?
– Joue pour nous ! supplièrent-elles.
C’est ainsi que, sans cesser de jouer, Hans baisa la brune et la blonde dans toutes les positions qu’il put imaginer, et même dans certaines qu’il n’aurait pu imaginer.
Après, ils dégustèrent les provisions de Julia. La brune, qui s’appelait Petrushka, alla chercher des couvertures, et ils s’endormirent ensemble, dans la clairière, au clair de lune.
Ils auraient pu vivre heureux tous les trois. Mais les événements prirent une tournure différente ; les choses ne s’arrêtèrent pas là. Le lendemain, il y eut Anita ; puis ce furent Erika, Emilia et Elena ; après, il y en eut encore d’autres, mais Hans n’essaya même pas de retenir leurs noms. Elles arrivaient toujours plus nombreuses, charmées par sa musique, et elles se déshabillaient, toutes.
Il était épuisé. Certes, ces jeunes dames faisaient de leur mieux pour lui rendre la vie agréable ; elles lui avaient offert la meilleure nourriture, les plus beaux vêtements, et elles étaient toujours prêtes à lui obéir. Mais elles ne supportaient pas qu’il cessât de jouer plus de quelques minutes d’affilée, et, surtout, elles étaient affamées de sexe. Hans avait beau être plein d’ardeurs, il n’en pouvait plus ; elles étaient trop nombreuses. Il avait les doigts fourbus, les couilles creusées.
Il en venait à attendre avec impatience la tombée de la nuit. C’était le seul moment où cette horde de femmes le laissait enfin en paix. Il avait affirmé avoir besoin de cette pause nocturne, et elles avaient accepté de lui donner ce répit, à condition que la journée leur fût dédiée.
Hans regrettait sa solitude d’avant, quand il n’avait ni frère, ni ami, ni amoureuses, et sa flûte pour seule confidente.
Une nuit, il décida de prendre la fuite. Il jeta sa flûte au loin, se faufila entre les corps de femmes, et disparut entre les feuillages.
Malheureusement, elles se lancèrent rapidement sur ses traces et le retrouvèrent au petit matin.
– Mais enfin, Hans, que fais-tu ? Tu voulais nous quitter, c’est ça ? demanda Julia, qui avait pris la tête de cette meute, ayant le privilège de l’antériorité.
Hans hésita une seconde à leur dire la vérité. Elles le regardaient toutes, suspendues à ses lèvres, et le soleil levant jetait des reflets rouges dans leurs cheveux.
– Mais non, répliqua-t-il. J’étais allé vous cueillir des fleurs, mes chéries. Je cherchais les plus belles !
Elles poussèrent des cris d’extase et se mirent à roucouler de concert. Hans fut contraint de retourner au camp qu’elles avaient organisé. Anita lui rendit sa flûte, qu’elle avait dénichée au pied d’un buisson ; il fallut se remettre à jouer.
Hans fut caressé, léché, sucé, baisé. Jamais il n’avait été si désespéré.
Croyant le réjouir, elles allèrent lui chercher des fleurs, et, bientôt, notre héros croula sous les glaïeuls, les roses, le lilas et le réséda. Il avait l’impression d’assister à son propre enterrement.
La vie se poursuivit ainsi pendant plusieurs semaines. Malgré tous les mets délicieux que ses femmes lui apportaient, Hans était de plus en plus maigre ; ses mélodies étaient de plus en plus mélancoliques.
Elles ne l’en aimaient que davantage.
Une érection du joueur de flûte était à présent un trésor plus difficile à obtenir, mais aucune ne se lassa jamais pour autant. Elles tripotaient, pompaient, et immanquablement, elles finissaient par se planter sur le sexe enfin raidi. Hans se sentait trahi par son corps, mais il n’y pouvait rien : elles le faisaient bander. Il était jeune, et, malgré son désespoir, la sève ne demandait qu’à monter.
Un soir, Hans prit une décision. S’il ne pouvait pas commander son sexe, il avait toujours la maîtrise de ses dix doigts. Il refuserait de jouer. Elles seraient furieuses, sans doute, mais elles ne pourraient pas le contraindre.
C’est ainsi qu’au matin, alors qu’elles s’étaient assemblées en nuée autour de lui pour l’écouter, il refusa tout net de souffler dans sa flûte.
– Non, déclara-t-il. Je ne jouerai plus.
– Tu es fatigué ? demanda Julia. Tu veux te restaurer d’abord ?
– Non, répondit-il. Je ne jouerai plus. Plus jamais.
Un silence médusé écrasa l’assistance, et puis ce furent les cris, les récriminations, les reproches.
Ensuite, elles tentèrent de le faire changer d’avis. Il fut supplié, sucé, insulté. Il les laissa faire en silence, refusant obstinément de reprendre en main l’instrument maudit.
Enfin, elles en vinrent à la violence.
L’une lui mit de force l’instrument entre les dents, tandis que les autres maintenaient son corps et sa tête écrasés contre le sol. Elles plièrent son bras qui ploya comme une branche cassée, mais elles ne purent contraindre sa main à jouer. Des gémissements lamentables s’échappaient de la flûte coincée dans la bouche du jeune homme, comme si l’instrument avait partagé les souffrances du pauvre Hans.
Rien n’y fit. Il ne voulait pas jouer ; il préférait se laisser torturer.
Ce refus les rendit folles. Il y avait des jours qu’elles ne vivaient que pour lui et sa musique. Elles ne pouvaient plus s’en passer. Il ne pouvait pas leur dire non, non, il ne pouvait pas. Les coups se mirent à pleuvoir. Elles le griffaient, le léchaient, le mordaient. Peu à peu, cette débauche d’énergie tourna à la frénésie sexuelle. Si elles n’avaient plus sa musique, il serait quand même à elles, en elles. L’une enfonça de force les doigts du jeune homme dans son sexe vorace, afin qu’il jouât d’elle ; une autre s’empala sur la flûte qui était toujours coincée dans la bouche du musicien, et se mit à aller et venir sur ce sexe de bois ; un troupeau de femmes lui dévora les pieds.
Quand la nuit tomba enfin, il n’y avait plus personne dans la clairière. Les femmes avaient fui les lieux. Tout était paisible. Les branches verdoyantes ondoyaient doucement dans la brise. On entendait au loin un rossignol chanter. La lune était blanche dans le ciel, grignotée de nuages. Et c’est à peine si on pouvait voir, çà et là, dans les herbes piétinées, quelques traînées de sang, des lambeaux de chair et d’ossements.
Il y avait, à moitié enfoncée dans la terre, une flûte.
Pour conclure ce conte, j’aimerais donner un conseil à tous ceux qui aiment draguer en grattant une guitare : n’en faites pas trop.
On ne sait jamais où ça peut vous mener.
fantasme très féminin