Je relis ces jours-ci les contes de Perrault… Délicieuses friandises au goût parfois acide ! Ils ont été tant réécrits qu’on en oublie les versions anciennes. Ainsi, La Belle au bois dormant de Perrault recèle quelques surprises pour les habitués de Disney. Saviez-vous qu’aux côtés de la belle dort sa petite chienne, prénommée… « Pouffe » ? Si vous ne me croyez pas, je cite : « la petite Pouffe, petite chienne de la Princesse, qui était auprès d’elle sur son lit ».
Faut-il y voir une interprétation symbolique très subtile ? Notre princesse est-elle si innocente qu’elle le paraît ? Ce n’est en tout cas pas l’opinion d’Anne Rice dans sa réécriture, Les Infortunes de la Belle au bois dormant. J’ai lu cet ouvrage adolescente (oui, je l’avais subtilisé dans la bibliothèque de mes parents), et si le début m’avait affriolée, les scènes de châtiment m’avaient ensuite ennuyée… Peut-être faudrait-il y revenir, maintenant que je suis grande et que la fessée m’a révélé ses secrets ?
En tout cas, dans le conte de Perrault, le prince réveille très poliment sa belle.
Il entre dans une chambre toute dorée, et il voit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s’approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d’elle.
Alors, comme la fin de l’enchantement était venue, la princesse s’éveilla, et, le regardant : « Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle ; vous vous êtes bien fait attendre. » Le prince, charmé de ces paroles, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance. Ses discours furent mal rangés. Il était plus embarrassé qu’elle, et l’on ne doit pas s’en étonner : elle avait eu le temps de songer à ce qu’elle aurait à lui dire.
J’aime beaucoup la gravure de Gustave Doré, cette nature luxuriante nimbant de sauvagerie la belle endormie. Mais je voudrais à présent dire un mot d’un autre personnage, injustement méconnu : il s’agit de la belle-mère de notre héroïne, autrement dit, la mère du prince. Car s’ils se marient et ont deux enfants, les deux amants ne connaissent pas que le bonheur. Voyez-vous, Belle-Maman est un peu ogresse. Elle rêve de manger ses petits-enfants. Là encore, tout le charme du conteur tient dans son souci du détail :
Quelque temps après, le roi alla faire la guerre à l’empereur Cantalabutte, son voisin. Il laissa la régence du royaume à la reine sa mère, et lui recommanda fort sa femme et ses enfants : il devait être à la guerre tout l’été ; et, dès qu’il fut parti, la reine mère envoya sa bru et ses enfants à une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible envie. Elle y alla quelques jours après, et dit un soir à son maître d’hôtel : « Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore. — Ah ! madame, dit le maître d’hôtel… — Je le veux, dit la reine (et elle le dit d’un ton d’ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche), et je la veux manger à la sauce Robert. »
Perrault aimait les personnages terrifiants : de la Barbe bleue aux ogres divers, ses contes regorgent de monstres terriblement humains. La sauce Robert ne fait-elle pas toute la saveur du récit ? Si vous ne connaissez pas la fin du conte, plongez-y, vous pouvez le lire sur Wikisource.