Il était une fois une jeune fille qui s’appelait Isabelle.
Isabelle était amoureuse d’un jeune homme. Il était grand et beau et blond ; il aimait la mer.
Le matin, il allait au port pour voir les bateaux partir. Il discutait avec les marins dans l’espoir de devenir un jour leur semblable. Les marins lui parlaient un instant et puis ils retournaient à leur bateau. Ils s’en allaient sur la mer.
Le jeune homme restait seul sur le port.
Isabelle l’observait de loin.
Le soir, il allait sur la digue voir le soleil se coucher sur la mer.
Isabelle l’accompagnait, elle marchait à ses côtés. C’était le moment de la journée qu’elle préférait. Il regardait la mer, et elle le regardait regarder la mer. Le soleil s’embrasait. Des reflets fauves s’allumaient dans la blondeur. L’écume blanche murmurait sur les flots. Une fois le soleil disparu, la nuit se faisait.
Le père du jeune homme avait une ferme. Il travaillait la terre, et il ne voulait pas que son fils prenne la mer. Qui s’occuperait, alors, de la ferme ?
Toute la journée, le jeune homme travaillait la terre qu’il n’aimait pas. Il n’aimait que la mer.
Isabelle espérait que cette vie-là durerait toujours. Elle travaillerait à la ferme, avec son amoureux blond. Ils pouvaient toujours regarder la mer le soir. Elle aimait le regarder, quand il regardait la mer, et que le bleu de ses yeux se mêlait au bleu de l’eau.
Un matin, le jeune homme croisa Isabelle, par hasard, en revenant du port. Elle aimait s’arranger pour le rencontrer par hasard.
Il s’avança vers elle en souriant, encore plus beau que d’habitude. Il la rejoignit, lui prit la main, et elle se sentit remplie d’espoir.
– Ils m’ont acceptée, s’écria-t-il. Je vais partir ! La semaine prochaine, je vais partir, je vais prendre la mer !
– Comme tu dois être heureux ! répondit Isabelle, qui ne s’était jamais sentie aussi malheureuse.
– Ne dis rien à mon père. Je ne veux pas qu’il m’empêche de partir.
Isabelle se demanda ce qu’elle pourrait bien faire, pour l’empêcher de partir.
Toute la journée, elle la passa à réfléchir. Le soir, elle sut ce qu’elle allait faire.
Elle le retrouva sur la digue, au soleil couchant. Il regardait la mer. Elle s’assit près de lui, et posa sa main sur la sienne.
– Je t’aime, dit-elle.
– Moi aussi, répondit-il.
Et puis, il ajouta :
– Je t’aime beaucoup.
Il n’avait pas cessé de regarder la mer. Très doucement, Isabelle retira sa main de celle du jeune homme. Le soleil se coucha dans les flammes habituelles. Ce fut la nuit.
Le lendemain, Isabelle passa toute la journée à réfléchir. Le soir, elle pensa qu’elle avait trouvé.
Sur la digue, le jeune homme regardait la mer ; le soleil se couchait dans des fracas de rouge.
Elle s’assit près de lui, très près de lui, et elle enroula ses bras autour de son cou comme deux serpents d’eau.
Il se dégagea de son étreinte en riant.
– Comme tu as les mains froides !
Alors, elle posa les mains sur ses genoux, et, en silence, elle regarda le soleil disparaître dans la mer.
Le troisième jour, Isabelle ne passa pas la journée à réfléchir. Elle n’avait plus qu’un espoir. Elle attendit le soir.
Comme tous les soirs, le soleil se couchait sur la mer, et le jeune homme regardait la mer.
Isabelle s’assit près de lui, pas trop près cependant, et elle attendit, pour poser sa question, que le soleil fût presque parti.
– Tu reviendras, dis ? demanda-t-elle enfin.
– Tout ce que je veux, c’est partir ! répondit-il.
Il regardait toujours la mer. La nuit se fit.
Le lendemain, le bateau devait partir à l’aube. Isabelle savait qu’elle aurait pu empêcher le jeune homme de partir, si elle avait prévenu son père.
Mais elle aimait le jeune homme, et il aimait la mer.
Elle regarda le jeune homme blond, sur le bateau, et elle ne pleura pas, parce qu’elle ne voulait pas qu’il se souvînt de ses pleurs. Il lui sourit, et elle lui sourit en retour, comme un miroir ; et elle le regarda jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point à l’horizon.
Le soir, elle alla sur la digue regarder le soleil se coucher et la mer l’emporter.
Et comme le jeune homme n’était plus là, elle versa des larmes, des larmes salées qui glissèrent sur ses joues, sur la digue, et tombèrent dans la mer.
Alors, la mer amère la prit dans ses bras.
– Veux-tu venir avec nous ? demanda-t-elle à Isabelle.
Isabelle écouta la mer et elle sentit monter en elle le calme inégalé des vagues qui ne s’arrêtent jamais.
– Oui, répondit-elle.
Ses pensées s’agrandirent, tandis que la douleur diminuait, jusqu’à n’être plus, comme le jeune homme tout à l’heure, qu’un point à l’horizon.
Les larmes la lièrent à la mer.
Isabelle sentit que les vagues faisaient partie d’elle, qu’elle faisait partie des vagues, et qu’elle était heureuse.