Il était une fois une fée qui s’appelait Elvire.
Elle avait des yeux couleur de fleur, des cheveux couleur de châtaigne, et de longues ailes rougeoyantes qui battaient dans son dos.
Elle vivait parmi ses semblables, hommes fées, femmes fées, et enfants fées. Au printemps, ils dansaient dans la verdure, l’été, dans les blé mûrs, en automne, parmi les feuilles mortes, l’hiver sur les lacs gelés.
Et toute l’année, le ciel était leur royaume. Ils s’y ébattaient en riant, plongeaient dans les nuages et glissaient sur les arcs-en-ciel. Ils faisaient la courses avec les oiseaux. L’eau de la pluie, avant qu’elle ait touché terre, ils en faisaient une cascade.
Ils se nourrissaient de fruits, de fleurs, et de flocons de neige.
La nuit, ils dormaient dans les arbres.
Elvire avait dormi dans toutes sortes d’arbres. Des chênes centenaires, des oliviers au tronc noueux, des bouleaux à l’écorce d’argent. Chaque nuit lui offrait un nouvel abri.
Un soir qu’elle s’était nourrie de roses, après avoir joué toute la journée avec ses amis fées, Elvire alla se coucher dans un arbre. Elle ne le regarda pas à deux fois, elle n’y prêta pas attention. Elle se posa sur une branche, y enroula ses bras, blottit sa tête contre le bois, et s’endormit.
Pour elle, c’était un arbre comme tous les arbres.
Or, il se passa quelque chose d’étrange.
C’était comme si, dans la nuit, l’arbre avait coloré ses rêves. Comme s’il avait parlé à son âme. Comme s’il lui avait dit qu’il la comprenait.
Elvire se réveilla le cœur empli et le regard changé. Elle regarda l’arbre où elle avait dormi, et elle sentit qu’elle l’aimait, depuis les racines qui plongeaient dans la terre, jusqu’aux branches qui s’élevaient vers le ciel. Les entrelacs de ses rameaux était une œuvre d’art, le trajet de sa sève faisait une source, chacune de ses feuilles vertes dessinait un miracle sur le ciel.
Ce jour-là, elle ne rejoignit pas les autres fées qui s’envolaient ; elle fut sourde à leurs appels. Elle parla à son arbre. Elle lui raconta sa vie, ses tristesses et ses joies. Et en retour, elle écouta l’arbre. Elle écouta ce que ses silences lui disaient.
A partir de ce moment, toutes ses nuits furent pour son arbre. Le jour, parfois, elle allait jouer avec les autres fées ; mais toujours, elle revenait à lui. Elle aimait s’éloigner de lui, pour avoir le plaisir, ensuite, de le redécouvrir. Elle enlaçait son tronc, elle caressait son écorce. Parfois même, elle l’embrassait, et soupirait de sentir la rudesse du bois sur sa peau.
Appuyée contre lui, elle guettait les signes de vie, une vie intense qu’elle sentait sans pouvoir l’étreindre. Les yeux fermés, l’oreille contre le tronc, elle cherchait à percevoir la lente montée de la sève. Les oiseaux faisaient bruire les feuilles en passant au travers des branches. Elle aurait voulu faire partie de lui. Un jour, elle cassa une petite branche, et elle ressentit une joie coupable de voir son arbre pleurer des larmes blanches.
Parfois elle était saisie d’enthousiasme ; au lendemain l’inquiétude l’étreignait et il lui venait des envie de pleurer toute cette immobilité.
Tous les jours, elle lui parlait.
La première fois qu’un de ses amis fées la vit parler à son arbre, il se moqua d’elle.
La deuxième fois, on la traita de folle.
Elvire décida que cela lui était égal. Elle était peut-être folle, mais elle était amoureuse.
Elle ne s’élança plus avec les autres fées dans le ciel.
On était au plus chaud de l’été. Les feuilles vertes de l’arbre étaient traversées d’une lumière brûlante. Le bleu du ciel, entre les branches, ne finissait jamais. Elle ne craignait qu’une chose : la venue de l’automne, qui ferait mourir les feuilles de son arbre, jusqu’au printemps suivant.
Les autres ne la laissaient pas tranquille. Ils venaient tournoyer autour de son arbre, comme des insectes. Les plus aimables l’enjoignaient de quitter cet arbre et de revenir à eux ; les autres lui criaient qu’elle était ridicule.
Ce furent eux qui remarquèrent, un jour, que ses ailes avait rapetissé.
– Regardez, s’écrièrent-ils, elle a les ailes comme des moignons, c’est affreux !
Et en riant, ils la surnommèrent l’Eclopée.
Elvire, inquiète, se retourna, essayant de voir dans son dos. Les deux ailes rougeoyantes avaient en effet considérablement diminué. Elle pâlit, eut envie de pleurer, mais elle ne dit rien. Elle posa ses deux mains sur l’écorce de son arbre, et il lui sembla que le bruissement des feuilles lui murmurait des mots d’amour.
Elle se sentit rassérénée.
Plus tard, quand elle fut seule, elle descendit de son arbre, et tenta de s’élancer dans le ciel. Elle n’y parvint pas : ses ailes étaient trop petites. Elles ne pouvaient plus la porter. Elvire ne pouvait plus voler.
Mais quand elle revint vers l’arbre, il ploya ses branches pour qu’elle puisse y grimper.
Alors, Elvire sentit le bonheur la remplir.
L’été s’acheva. Les fées venaient parfois se moquer d’elle. On ne l’appelait plus que l’Eclopée. Elvire s’en moquait. Elle attendait la disparition de ses ailes.
Vint l’automne. Les feuilles de l’arbre se teintèrent de roux, d’abord, et puis ce fut la première feuille qui tombe.
L’arbre perdait ses feuilles, l’Eclopée perdait ses ailes.
Une nuit, la dernière feuille se détacha et tomba en tournoyant sur le sol. Elvire enlaça son arbre nu, pour le réchauffer de ses deux bras. Elle n’avait plus d’ailes.
Alors, elle sentit que l’écorce devenait douce, douce et tiède contre sa peau ; deux branches l’enlacèrent, tandis que les autres disparaissaient ; et bientôt l’arbre l’embrassa, bouche contre bouche.
Il n’avait pas d’ailes, mais il avait des bras, et c’était tout ce qu’il fallait.
Elvire ferma les yeux et se laissa aller à l’étreinte chaude de son être.
Quand on sait que l’Elvire de Lamartine s’appelle en réalité Julie…Coïncidence?
Conte très poétique.
En fait c’est plutôt un souvenir de ma sœur Sophie. Adolescente, elle écrivait des histoires dont l’héroïne s’appelait Elvire. Faudrait lui demander d’où ça vient…