Le piano a toujours été pour moi une source de fantasme, ou plutôt, pour être exacte, les mains qui courent sur le piano. Avec Luka, le personnage principal de Sunlight Melody, je m’en suis donné à cœur joie. Je me suis même inspirée de chroniques d’André Manoukian, sur France inter, pour donner corps, ou plutôt esprit, à mon personnages.
Quelques extraits pour vous faire parcourir la gamme…
Il se décala sur le tabouret, lui laissant une place à ses côtés, et elle ne put résister au plaisir de cette proximité. Elle s’installa près de lui, sa cuisse nue touchant le pantalon de lin du pianiste. Il passa un bras derrière elle, prit sa main dans la sienne, la guida sur le clavier, et posa son pouce et son majeur sur deux des touches blanches, murmurant le nom des notes au passage. Il lui fit répéter deux fois, trois fois, la simplicité de ces deux notes, puis, de nouveau, il guida sa main sur le piano, une touche blanche, une touche noire, cette fois. Il lui demanda d’écouter, c’était différent n’est-ce pas ? Oui, c’était différent, elle se sentait coupée du monde, perdue dans cette étreinte étrange, dans une bulle, elle n’entendait plus que lui, sa voix grave, et les accords qu’il lui faisait découvrir. Le second était différent, il avait raison, il y avait comme une plainte, quelque chose d’irrésolu, un désir, peut-être. Une troisième fois, il prit sa main dans la sienne, lui fit jouer deux notes, et acheva lui-même l’accord.
— Là, c’est le diable dans la gamme, murmura-t-il. Au Moyen Âge, les moines croyaient que ces notes servaient à convoquer le malin.
Rachel frissonna. La bouche du pianiste était tout près de sa nuque ; elle avait l’impression de sentir son souffle. Soudain, elle se rendit compte que le silence s’était fait. Elle tourna la tête, son corps se rapprochant encore de celui de Luka au passage. Tess et James s’étaient éclipsés. Dieu seul savait ce qu’ils faisaient. Peut-être convoquaient-ils le diable, eux aussi…
Puis, un peu plus loin…
Les mains du pianiste glissèrent sur la robe turquoise, effleurant le ventre de Rachel. Un long frisson remonta sa colonne vertébrale, elle se figea, écouta ces doigts qui parlaient à son corps. Son cœur battait trop vite ; elle n’osait plus respirer. Aussi vite qu’elles étaient venues, les mains de Luka se retirèrent.
— Sinon, on peut juste flirter innocemment, déclara-t-il.
Rachel se mit à rire, un rire de soulagement, ou était-ce de la déception ?
— D’accord, répondit-elle, sans savoir ce à quoi elle consentait.
Il se leva, et elle sentit que quelque chose se creusait dans son ventre, comme une absence.
— J’ai cru comprendre que vous aimiez le mojito ?
Elle hocha la tête, le regarda préparer les cocktails, les gestes un peu moins fluides que ceux de James, un peu moins experts, mais il avait de si belles mains que les regarder s’agiter était presque un poème. Elle songea à ces mains sur sa peau, et un abîme de fantasmes s’éveilla en elle.
Ils ne parlèrent pas beaucoup. Les yeux sombres du pianiste coupaient court à toute volonté de bavardage vain. Quand il la regardait, elle avait l’impression qu’il la caressait.
Le roman est paru aux éditions du 38, dans la collection corail. Vous trouverez Sunlight Melody ici sur Amazon, et ici sur Kobo.