Chers lecteurs, chères lectrices, j’ai besoin de vos lumières. Le débat est vaste : pensez-vous qu’on puisse, dans un récit, au sein d’un même paragraphe, glisser du passé composé au passé simple sans déclencher un cataclysme stylistique et grammatical ?
Je m’explique. Longtemps, j’ai évité, par habitude, de mélanger le passé composé, plus familier, et le passé simple, plus littéraire, au sein d’un même récit. Je pense cependant que ces deux temps peuvent renvoyer à une même temporalité. Dans ce cas, le passé composé insiste davantage sur l’aspect accompli, achevé, d’une action. Quant aux actions qui remontent à un passé plus lointain, il faut les raconter au plus que parfait.
C’est en lisant un récit d’Anne Bert, Perle, que je me suis fait la réflexion que mélanger le passé simple et le passé composé pouvait être intéressant. Je vous livre un extrait :
Je m’appelle Perle et suis née sous X, cette mystérieuse lettre cruciforme qui ne dit que l’innommable. On ne peut être plus concis : X. La langue française ne sait pas dire ni concevoir l’abandon maternel avec un vrai mot. Cette croix d’illettré ne dut pas suffire à ma destinée, on peaufina mon pedigree en me nommant Perle. Sans doute ma génitrice vit-elle en ce nourrisson extrait de sa chair la plus grosse bévue de son existence, ce minuscule corps parasite entré par effraction dans son ventre, cultivé contre son gré, transformé en un joyau trop beau pour elle. Le prénom de Perle s’imposa alors pour nommer ce qu’elle allait abandonner. Mais peut-être est-ce l’administration perverse qui m’affubla de ce saugrenu prénom, allez savoir… Perle née sous X, ça vous expédie la plus sage des enfants dans un monde interlope.
Mes parents adoptifs ont profité de mon apprentissage de l’alphabet pour m’enseigner que le X signait ma venue au monde. Je brandis alors l’insupportable pourquoi de la petite enfance. Pourquoi « X »?
Loin de me déranger, ce passage d’un temps à l’autre donne, me semble-t-il, une certaine saveur au récit. Du coup, j’ai voulu m’y essayer, moi aussi. J’ai écrit une romance, qui sera publiée au printemps, et qui mélange assez allègrement le passé simple et le passé composé. Je vous livre un premier extrait, tout chaud encore : les corrections ne sont pas achevées. Permettez-moi de demander votre indulgence pour le style, loin d’être aussi travaillé que celui de Perle. Au passage, vous pourrez remarquer qu’il y a quelques répliques en anglais. Pas beaucoup, pour ne pas gêner la lecture (j’espère). Mon héroïne, française, vient de débarquer en Amérique…
– Do you have the internet ?
Il s’est mis à rire sans me lâcher du regard. OK, stupid question. J’ai repris une gorgée de bière pour me donner une contenance avant de poser la question suivante.
– Can I use it, please ?
– Sure, Charline.
Chaque fois qu’il prononçait mon nom, ça me donnait un petit frisson. J’espérais que ça ne se voyait pas trop. Il est allé chercher son ordinateur portable dans le salon, me l’a ouvert. J’ai regardé l’écran avec curiosité, mais le fond était on ne peut plus banal, un paysage mille fois vu, et je n’ai pas osé détailler les dossiers avant de mettre en route internet. En face de moi, Finn me regardait toujours. Comme je m’y attendais, Clémence m’avait déjà écrit plusieurs mails pour savoir si j’étais bien arrivée. Je lui envoyai un court message pour la rassurer, sans lui expliquer la situation, à savoir le fait que j’avais rencontré les deux hommes de ma vie. Cette idée ridicule me fit glousser, et je refermai vite l’ordinateur pour ne pas risquer de croiser ma sœur sur le net — elle aurait posé des questions.
Qu’en pensez-vous ? Est-ce que le mélange des temps vous choque ? Trouvez-vous que ça n’a aucun intérêt ? Pensez-vous que cela peut apporter quelque chose ? Quoi ?
Merci d’avoir lu mes interrogations existentielles jusqu’au bout !
Je n’oserai pas te conseiller car tu écris bien mieux que moi… Mais je trouve que le passé simple (quand on peut l’employer…) donne plus de rythme au récit … on est plus dans l’action…
Tiens, je n’aurais pas dit ça ! Merci pour ta réponse !
Bonsoir. Pour répondre en un mot à la question : oui, on peut. En tous cas je n’ai jamais éprouvé la moindre vergogne à mélanger les deux… Je n’aurais pas dû ?
Et voilà, maintenant, je culpabilise 😉 !
Je pense que c’est une bonne chose de bousculer un peu les habitudes ! Mais le choix peut être cornélien, et le résultat n’est pas toujours fluide !
Pour ma part je n’y vois aucun obstacle. Cela ne cause aucun heurt, ni dans la fluidité de la lecture, ni dans la compréhension du texte, ni dans le plaisir à lire.
Merci pour ta réponse ! Les avis sont en majorité favorables, me voilà rassurée
Je fais bien pire en termes de mélange de temps ; j’emploie parfois du présent lors d’un récit au passé.
Ça peut donner du rythme, en effet, comme l’indique Gérard.
J’ai lu avec fluidité le passage que tu as soumis à notre sagacité. Je te donne mon imprimatur
Qu’il en soit ainsi ! Merci 😉
Je trouve que c’est parfois maladroit, mais pas dans ton extrait. Ici au contraire, le mélange donne du relief, il est utilisé à bon escient.
Quand on a le nez dessus (et qu’on l’a réécrit 12 fois, j’imagine !), on ne voit plus rien, alors bonne idée de demander un avis extérieur !
Merci pour cet avis